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COVID-19 et Force Majeure en droit français

April 06, 2020

La pandémie de coronavirus (COVID-19) en France a donné lieu à des mesures d'interdiction et de restriction des déplacements, y compris la mise en quarantaine des personnes. Ces mesures ont perturbé les chaînes d'approvisionnement et les activités de nombreuses entreprises, notamment par la fermeture d'usines et de commerces. Dans un contexte d'incertitude permanente, les parties chercheront probablement à invoquer des dispositions contractuelles relatives à la force majeure pour éviter toute responsabilité ou pénalité en cas d'inexécution. La présente analyse prend en compte la jurisprudence française récente liée au COVID-19 en rapport avec la crise actuelle, ce qui permet d'avoir une idée plus claire et plus précise des circonstances de force majeure actuelles.

Qu'est-ce que la Force Majeure en droit français ?

Les dispositions relatives à la force majeure fonctionnent comme un mécanisme de répartition des risques visant à encadrer les situations qui échappent au contrôle des parties, telles que le déclenchement d'une guerre ou les catastrophes naturelles.

En règle générale, dans de tels cas, une clause de force majeure permet de suspendre ou de résilier le contrat et d'éviter qu'une partie ne soit tenue responsable de son inexécution.

La force majeure est définie à l'article 1218 alinéa 1 du Code civil qui dispose que :

«Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ».

Tout événement qui empêche une partie à un contrat d'exécuter ses obligations peut donc être qualifié de force majeure dès lors qu'il présente les trois caractéristiques suivantes :

  1. Il était indépendant de la volonté de la partie qui est désormais dans l'impossibilité d'exécuter ses obligations.
  2. Il était raisonnablement imprévisible au moment de la conclusion du contrat.
  3. Il était irrésistible pendant l'exécution du contrat. Ce caractère irrésistible doit rendre l'exécution du contrat impossible et pas seulement plus coûteuse ou plus compliquée.

La partie souhaitant invoquer la force majeure (en principe la partie qui n'exécute pas le contrat) doit apporter la preuve que ces conditions sont remplies.[1] Cette partie devra généralement démontrer un lien de causalité entre le cas de force majeure et l'inexécution des obligations contractuelles.

Le COVID-19 est-il un cas de Force Majeure?

La question de savoir si la pandémie de COVID-19 constitue un cas de force majeure dépend de la rédaction exacte et de la portée de la disposition relative à la force majeure dans un contrat.

En effet, les dispositions relatives à la force majeure n'étant pas d'ordre public, la définition ou les effets de la force majeure peuvent faire l'objet d'aménagements contractuels. Par conséquent, les parties à un contrat sont libres de supprimer le caractère exonératoire de la force majeure (par exemple, par le biais d'une clause de garantie) ou d'inclure dans leur contrat des clauses contenant une définition plus large de la force majeure.[2]

Voici certains éléments à prendre en compte lors de l'examen d'une disposition relative à la force majeure :

  • Si la clause de force majeure stipule expressément que les épidémies, les maladies et/ou les urgences sanitaires sont des cas de force majeure, la pandémie de COVID-19 sera probablement admissible.
  • Même s'il n'est pas expressément stipulé dans le contrat que les épidémies, les maladies et les urgences sanitaires constituent des cas de force majeure, le COVID-19 peut néanmoins relever de la définition générale de la force majeure en tant qu'événement imprévisible échappant au contrôle raisonnable des parties.
  • Si la disposition relative à la force majeure définit les « actes de gouvernement » comme des cas de force majeure, il est également possible de soutenir que les mesures d’interdiction et de restriction des déplacements, de confinement des villes et les fermetures obligatoires d'entreprises imposées par le gouvernement constituent des « actes de gouvernement » échappant au contrôle raisonnable des parties et qui empêchent l'exécution des obligations contractuelles.
  • La partie qui cherche à invoquer la force majeure devra généralement démontrer un lien de causalité entre le cas de force majeure et l'inexécution des obligations contractuelles, et la partie devra prouver que le COVID-19 l'a effectivement mise dans l'impossibilité d'exécuter ses obligations contractuelles. Il est peu probable qu'une partie puisse invoquer la force majeure simplement parce que l'exécution de ses obligations contractuelles est devenue plus coûteuse, plus onéreuse ou plus longue en raison du COVID-19. Par exemple, il est possible qu'une partie cherchant à se prévaloir de la force majeure doive démontrer qu'il lui était impossible de faire appel à d'autres fournisseurs, prestataires, matériaux ou personnel.
  • L'existence d'une pandémie ou d'une épidémie n'est pas suffisante en soi pour constituer un cas de force majeure. La jurisprudence française a exclu cette qualification de force majeure à plusieurs reprises pour :
  • La peste (CA Paris, 25 septembre 1998, n° 1996/08159)
  • La dengue (CA Saint-Denis de la Réunion, 29 décembre 2009, n° 08/02114 ; CA Nancy, 22 novembre 2010, n° 09/00003)
  • Le SARS (CA Paris, 29 juin 2006, n° 04/09052)
  • Le chikungunya (CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, n° 17/00739)
  • Le H1N1 (CA Besançon, 8 janvier 2014, n° 12/02291)
  • Ebola (CA Paris, 17 mars 2016, n° 15/04263 ; CA Paris, 29 mars 2016,
    n° 15/05607)
  • Toutefois, l'ampleur des mesures prises par le gouvernement en réponse au COVID-19 (comme les mesures renforcées de restriction des déplacements et le confinement des villes) est de nature unique et exceptionnelle, et sa portée est plus large que celle des pandémies précédentes. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que le COVID-19 constituait une urgence sanitaire de portée internationale. Il s'agit seulement de la sixième déclaration de ce type par l'OMS et elle confirme le fait que le COVID-19 est un événement sans précédent.
  • Les parties doivent également prendre en considération la durée de la suspension des obligations contractuelles pour cause de force majeure. Compte tenu de la fluidité de la situation, il peut être difficile de déterminer quand un événement de force majeure a commencé et quand il a pris fin.
  • En outre, le gouvernement français a déclaré que le COVID-19 était un cas de force majeure en s’agissant des marchés publics et a annoncé des mesures de solidarité pour toutes les entreprises, évoquant une éventuelle extension de cette qualification.
  • A noter également, un arrêt de la Cour d'appel de Colmar rendu le 12 mars 2020 a déjà retenu la qualification du COVID-19 comme cas de force majeure.[3] On peut considérer que cette jurisprudence est la première à avoir été rendue en France en la matière.

Toutefois, en théorie, l'application de la force majeure sera toujours laissée à l’appréciation du juge français (si les parties saisissent le tribunal en ce sens). Le juge déterminera si la pandémie de coronavirus constitue un cas de force majeure sur la base des faits de chaque espèce, et notamment en ce qui concerne la possibilité de mettre en œuvre des mesures appropriées pour éviter tout effet défavorable sur l'exécution du contrat (par exemple, le recours à d'autres sources d'approvisionnement, la production sur d'autres sites).

Dans le cas où le COVID-19 serait considéré comme un cas de force majeure, quelles en seraient les conséquences?

Si cette qualification était retenue, ce qui devient chaque jour plus vraisemblable compte tenu de l'évolution rapide des décisions gouvernementales et de la jurisprudence déjà disponible (voir ci-dessus la décision de la Cour de Colmar), elle aurait les conséquences suivantes :

  • En cas d'empêchement temporaire, l'exécution du contrat sera suspendue, à moins que le retard résultant de cette suspension ne justifie la résiliation du contrat.
  • En cas d'empêchement définitif, le contrat sera résilié de plein droit et les parties seront libérées de leurs obligations conformément à l'article 1351 du Code civil.[4]

En effet, l'article 1351 du Code civil prévoit que « l'impossibilité d'exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu'elle procède d'un cas de force majeure et qu'elle est définitive, à moins qu'il n'ait convenu de s'en charger ou qu'il ait été préalablement mis en demeure ».

En d'autres termes, la partie qui invoque le cas de force majeure sera libérée de ses obligations et ne pourra donc pas être tenue responsable de son manquement contractuel.

En cas d’inapplicabilité de la force majeure, l'imprévisibilité prévue par l'article 1195 pourrait permettre la renégociation du contrat

Si les parties ne peuvent invoquer la force majeure, elles peuvent envisager de se prévaloir de l'article 1195 du Code civil qui prévoit la possibilité de renégocier un contrat « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque. »

Le terme « imprévisible » n'est utilisé que si l'exécution de l'obligation n'a pas été rendue impossible, mais seulement plus difficile par le débiteur, soit parce qu'il n'obtiendra en retour qu'une exécution dont la valeur aura été considérablement réduite, soit parce que l'exécution, bien que non impossible, nécessitera un effort plus important et un délai plus long que celui initialement prévu.  

Si le COVID-19 est considéré comme « imprévisible » et si l'application de la disposition susmentionnée n'est pas exclue (ce qui est contractuellement possible), les parties peuvent toujours tenter de faire valoir cette disposition comme une alternative à la force majeure pour essayer de renégocier l'accord existant.

Conclusion

Avec la propagation rapide du COVID-19 et le prolongement et l'intensification des mesures gouvernementales prises pour combattre et contenir le virus, nous allons probablement voir se multiplier les cas de déclaration de force majeure par les parties.

Les entreprises affectées doivent examiner attentivement les dispositions relatives à la force majeure dans leurs contrats et en mesurer les implications si de telles dispositions doivent être invoquées. Les entreprises peuvent également envisager de rédiger leurs clauses de force majeure de manière plus étendue à l'avenir afin d'y inclure clairement les épidémies et les urgences sanitaires, sans qu'il soit nécessaire de recourir à un certificat de force majeure.

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Contacts

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Paris
Alexandre Bailly
Xavier Haranger



[1] (Com., 17 mars 1998, n° 95-21.547 D, RJDA 7/98 n° 753). Voir également CA Paris, 17 mars 2016, n° 15/04263).

[2] (Com. 8 juillet 1981, n° 79-15.626, Bull. civ. IV, n° 312).

[3] Voir (n° 20/01098).

[4] Article 1218 al. 2 du Code civil.