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Grèves en France : Petit Manuel des Fondamentaux

April 23, 2018

Depuis le 3 avril, la France est perturbée par la grève des salariés de la SNCF (la compagnie ferroviaire publique française) qui protestent contre le projet de loi modifiant leur statut. Ce mode de grève inédit, de 48 heures tous les 5 jours, devrait perdurer jusqu’au 28 juin. En parallèle, des mouvements de grève ont été entamés dans les secteurs du transport aérien (Air France), de la collecte des déchets, de l’énergie et plus généralement dans la fonction publique. Les salariés envisagent de nouveaux types d’actions de lutte contre les propositions gouvernementales, en particulier dans l’énergie : passer par défaut les compteurs en heures creuses, rétablir l’électricité pour les foyers ayant subi des coupures, couper l’électricité du groupe Carrefour, etc. Dans le maelstrom médiatique, il est temps de faire le point sur les droits et obligations des entreprises et des employés en cas de grève.

LA DEFINITION DU DROIT DE GREVE

La grève est définie comme la cessation collective et concertée du travail par le personnel d’une ou plusieurs entreprises en vue de porter des revendications professionnelles. Lorsque la grève entre dans cette définition, les salariés sont protégés contre toute sanction ou mesure de licenciement. En revanche, en cas de mouvement de grève illicite, ou d’abus dans l’exercice du droit de grève, cette protection est levée.

Pour les fonctionnaires, et les personnels relevant d’un statut particulier - tels que ceux de la SNCF, les conditions de licéité des grèves sont plus restrictives. Elles doivent par exemple obligatoirement être initiées par un syndicat professionnel, et un préavis de grève doit être donné. Les règles exposées ci-après concerneront donc essentiellement les entreprises du secteur privé.

DROITS ET DEVOIRS DE L’EMPLOYEUR

Dans le secteur privé, la grève peut être déclenchée à tout moment et sans formalité. L’employeur ne peut imposer le respect d’un délai de préavis ou de formalités particulières pour exercer le droit de grève, y compris par accord collectif.

La suspension du contrat de travail du salarié gréviste

L’exercice du droit de grève suspend l’exécution du contrat de travail. L’employeur n’est donc pas obligé de verser leur salaire aux salariés grévistes, à condition que la retenue sur salaire soit proportionnelle au temps de travail effectivement passé en grève, sous peine d’être qualifiée de sanction pécuniaire, qui est prohibée en droit français. L’employeur n’a pas à payer les jours de repos rémunérés ou les jours fériés chômés tombant pendant la période de grève.

L’employeur ne peut imposer unilatéralement aux salariés grévistes le rattrapage des heures perdues en raison de l’exercice de leur droit de grève. En revanche, l’employeur dont les salariés ont des retards ou absences pour cause de grève externe à l’entreprise (transports, EDF) peut les obliger à rattraper les heures perdues.

Si lors de l’exercice du droit de grève, le salarié est en période d’essai ou en préavis, cette période doit être prolongée du temps de la grève.

L’interdiction des sanctions

L’employeur ne peut prendre aucune mesure de discrimination ou de sanction à l’encontre des salariés grévistes en raison de leur grève, en particulier en matière de rémunération et avantage sociaux. Par exemple, il ne peut pas accorder une prime spécifique aux salariés non-grévistes au simple motif qu’ils ne sont pas en grève.

L’employeur ne peut licencier un salarié pour avoir exercé son droit de grève, sauf en cas de faute lourde, commise dans l’intention de nuire à l’employeur ou de désorganiser l’entreprise. Ainsi, pourront par exemple être licenciés les salariés ayant personnellement et activement participé à des violences et voies de fait, coups et blessures, ou encore séquestrations.

Le remplacement des salariés grévistes

L’employeur ne peut pas embaucher des salariés en contrat à durée indéterminée (CDD) ou en intérim pour remplacer les salariés grévistes, sous peine de sanctions pénales. Cependant, il est possible de réorganiser les tâches des salariés non-grévistes pour couvrir celles des salariés en grève. Un salarié non-gréviste peut ainsi être temporairement placé sur le poste d’un gréviste. L’employeur peut également avoir recours aux services d’une autre entreprise (sous-traitance, etc.)

L’interdiction du lock-out

La fermeture provisoire de l’entreprise décidée par l’employeur en période de grève – ou lock out – est illicite et oblige l’employeur à indemniser la perte de salaire subséquente des salariés. Elle est tolérée lorsque l’employeur est mis dans l’impossibilité de fournir du travail aux salariés et contraint de fermer l’entreprise, par exemple pour des motifs de sécurité du personnel, des usagers et/ou des biens.

A l’inverse, si les salariés grévistes décident d’occuper les locaux de l’entreprise, l’employeur pourra demander en référé leur expulsion en cas de risque pour la sécurité des personnes et des biens (cela est néanmoins très difficile à obtenir en pratique).

DROITS ET DEVOIRS DU SALARIE GREVISTE

La notion de grève licite

Pour bénéficier de la protection, les salariés doivent veiller à ce que la grève entreprise entre dans la définition mentionnée ci-dessus.

La grève doit conduire à une cessation totale du travail. L’exécution volontairement défectueuse de son travail est considérée comme un exercice illicite du droit de grève. La volonté des salariés du secteur de l’énergie de basculer certaines villes en heures creuses ou de couper l’électricité pour les magasins du groupe Carrefour semble donc peu réalisable.

Les grèves doivent avoir pour but des revendications professionnelles. Les salariés grévistes doivent être intéressés personnellement par ces revendications, une grève de solidarité étant par principe illicite.

La grève est illicite si elle a pour but de participer aux protestations d’un mouvement politique contre des décisions gouvernementales. En revanche elle devient licite si le mouvement national contient des revendications professionnelles concernant l’ensemble des travailleurs, telles que les retraites.

L’abus dans l’exercice du droit de grève

Une grève licite peut dégénérer en abus et être sanctionnée lorsqu’elle entraîne ou risque d’entraîner la désorganisation de l’entreprise. C’est le cas lorsqu’il est décidé de faire de très nombreuses grèves successives de courte durée dans le but de désorganiser l’entreprise ou de nuire à sa situation économique.

La responsabilité des salariés grévistes

Les salariés en grève peuvent engager leur responsabilité civile délictuelle lorsqu’ils ont personnellement commis des actes illicites au cours de la grève. Ils pourront être condamnés à réparer les salariés non-grévistes de la perte de leur salaire si l’accès aux locaux de l’entreprise a été bloqué.  

Leur responsabilité pénale peut également être engagée en cas de séquestration ou de violences. Par ailleurs, le Code pénal sanctionne l’entrave à la liberté d’exercice du travail d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros (18.421 USD) d’amende. Les condamnations sont néanmoins rares.

CONTACT

Pour toute question ou information complémentaire au sujet des problématiques abordées dans ce LawFlash, veuillez contacter l’auteur, Charles Dauthier, du bureau parisien de Morgan Lewis.