La rupture brutale d’une relation d’affaires entre une société française et une société étrangère peut conduire à une indemnisation de la société victime de la rupture. Cependant, dans une relation d’affaires internationale ou européenne, la question du droit applicable et de la juridiction compétente se pose. Il faut pour cela déterminer si la notion de rupture brutale relève de la matière contractuelle ou délictuelle.
La rupture, même si elle est conforme au préavis contractuel à respecter pour mettre fin à un contrat, peut entraîner un droit à réparation, comme le prévoit l'article L. 442-1, II° du Code de commerce.
En effet, l’auteur de la rupture d’une relation commerciale établie peut engager sa responsabilité s’il rompt brutalement la relation commerciale, c’est-à-dire s’il n’octroie pas un préavis écrit raisonnable[1] à son partenaire. Si le préavis est insuffisant, la rupture est considérée comme fautive et la partie qui subit ladite rupture est en droit de réclamer des dommages et intérêts devant la juridiction compétente.
En droit français, cette responsabilité est délictuelle et non contractuelle, car elle ne concerne pas la rupture du contrat en elle-même (qui peut donner lieu à une action en responsabilité contractuelle séparée) mais la brutalité (le caractère soudain) de la rupture.
Cas n° 1 : Le cas d’une relation entre deux sociétés françaises
La détermination de la juridiction compétente pour les litiges relatifs à la rupture brutale d’une relation commerciale est liée à la nature de la responsabilité engagée : la responsabilité étant délictuelle et non contractuelle, ce sont les règles de compétence en matière délictuelle qui s’appliquent.
En conséquence, en application de l’article 46 du Code de procédure civile, le demandeur dispose d’une option de compétence territoriale entre :
On précisera que, pour les personnes morales, le dommage relatif à une rupture brutale est subi à son siège social, alors que le fait dommageable se réalise au siège social de celui qui met fin à la relation.
Cas n° 2 : Le cas d’une relation entre une société extra-européenne et une société française
En cas de relation commerciale entre une société française et une société non ressortissante de l’Union Européenne, la jurisprudence a rappelé encore récemment[2], que, dans l’ordre international, la rupture brutale d’une relation commerciale établie est de nature délictuelle, car cette action vise bien à réparer le dommage relatif à la brutalité de la rupture, et non la rupture en elle-même.
C’est donc l’option de compétence territoriale en matière délictuelle de l’article 46 du Code de procédure civile qui est ouverte au demandeur qui souhaite saisir une juridiction française.
Cas n° 3 : Le cas d’une relation est une société européenne et une société française
La détermination de l’action ouverte et de la juridiction compétente soulève cette fois des interrogations. En effet, au niveau européen, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) pour déterminer si le litige est contractuel ou délictuel et la juridiction compétente n’est pas totalement claire.
La jurisprudence « Granarolo »
Dans sa jurisprudence « Granarolo » de 2016,[3] la CJUE a jugé que la rupture brutale d’une relation commerciale relève de la matière contractuelle, car il existait une relation contractuelle entre les parties.
Or, pour une action contractuelle, l’article 7, 1°, b) du Règlement Bruxelles I bis prévoit que le demandeur doit assigner au lieu d’exécution de l’obligation, c’est-à-dire :
Ces règles de compétence peuvent se révéler moins protectrices pour les sociétés françaises qui veulent assigner une société européenne, car ces deux lieux peuvent potentiellement se trouver hors de France et dans un pays qui n’indemnise pas les victimes d’une rupture brutale des relations commerciales.
La jurisprudence « Wikingerhof » et la question préjudicielle de la Cour de cassation
Dans sa jurisprudence « Wikingerhof » de 2020,[4] la Cour a décidé que l’action contre l’auteur d’une rupture brutale d’une relation commerciale était une action délictuelle, dès lors qu’il n’était pas nécessaire d’analyser le contenu du contrat pour rendre une décision. A contrario, si une telle analyse est requise pour trancher le litige, ce dernier relève de la matière contractuelle.
Sans déclaration expresse de la part de la Cour, il n’est pas possible de déterminer si ce deuxième arrêt opère un revirement de jurisprudence ou si l’arrêt Granarolo a toujours vocation à s’appliquer.
Ainsi, pour clarifier la position européenne, la Cour de cassation a, le 2 avril dernier, adressé une question préjudicielle à la CJUE.[5] Espérons que la réponse à cette question permette d’apporter davantage de prévisibilité aux acteurs confrontés à cette épineuse question.
Marion Duval a contribué à la rédaction de cet Insight.
[1] Le délai de préavis raisonnable est souverainement apprécié par les juges en fonction de plusieurs critères, notamment la durée de la relation commerciale, les difficultés à remplacer le cocontractant ou la situation de dépendance économique.
[2] Cass. civ. 1ère, 12 mars 2025, n° 23-22.051.
[3] CJUE, 14 juillet 2016, n° C-196/15, Granarolo.
[4] CJUE, 24 novembre 2020, n° C-59/19, Wikingerhof.
[5] Cass. civ. 1ère, 2 avril 2025, n° 23-11.456.