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Les dommages-intérêts punitifs, à la française, bientôt autorisés | Coming Soon: Punitive Damages, the French Way

November 05, 2018

Le droit français continue d’intégrer, des notions des systèmes juridiques de common law, tout en les adaptant. Après la réforme des class actions, à la française, en 2014, le « deferred prosecution agreement », à la française (dénommé convention judiciaire d’intérêt public), en 2016, un avant-projet de loi prévoit d’intégrer les « punitive damages » prochainement dans le droit français. La réforme devrait être soumise au Conseil des ministres au printemps 2019.

Le projet

Ces « punitive damages » s’appliqueraient dans des conditions restreintes : dans l’hypothèse où une partie aurait délibérément commis une faute en vue d’obtenir un gain ou une économie. Ils viseraient ainsi à sanctionner la faute dite lucrative, c’est-à-dire la faute dont cette partie pouvait tirer un bénéfice plus avantageux que la sanction qu’elle aurait encourue, en d’autres termes lorsque la sanction ne dissuade pas suffisamment de tenter d’obtenir l’avantage économique procuré par la faute.

Les exemples de fautes lucratives notoires sont, notamment, l’augmentation du volume des ventes de magazines en cas d’atteinte à la vie privée, générant un chiffre d’affaires largement supérieur aux dommages et intérêts encourus ou encore les tournages de clips sauvages sur la voie publique et le buzz qui en résulte, comparés à l’économie réalisée sur les moyens légaux d’enregistrement et de publicité.

L’objet de ces « punitive damages » sera donc de dissuader les comportements abusifs ou intéressés visant à obtenir un gain ou une économie supérieure à l’indemnisation du préjudice qui pourra en résulter.

Ils pourraient être demandés tant par la victime que par le ministère public.

Le montant des « punitive damages » serait limité au décuple du montant du profit réalisé ou, si l’auteur est une personne morale, à 5% du montant du chiffre d’affaires hors taxes et ne serait pas versé à la victime mais à un fonds d’indemnisation en lien avec la nature du dommage ou au Trésor public.

Enfin, cette amende civile ne serait pas assurable.

Le droit actuel

On rappellera qu’aujourd’hui, l’équivalent français des « punitive damages » est l’amende civile. Cette amende civile, prévue à l’article 32-1 du CPC, s’applique en cas de procédure dilatoire ou abusive. Elle est peu dissuasive car son montant maximal est de 10.000 euros et elle est rarement appliquée. En outre, lorsqu’ils l’ordonnent, les juges cantonnent cette amende civile à des montants limités.

Récemment, depuis la loi sur le secret des affaires du 30 juillet 2018, le montant de l’amende civile a été augmenté puisque le juge peut, désormais, prononcer une amende civile équivalant à 20% de la demande de dommages et intérêts ou, à défaut d’une telle demande, à 60.000 euros pour sanctionner l’auteur d’une procédure bâillon abusive (par exemple, visant à faire taire un journaliste qui enquête) ou dilatoire engagée en application des nouvelles dispositions législatives protégeant le secret des affaires.

Enfin, les « punitive damages », tels qu’ils existent dans les autres systèmes juridiques, à commencer par la common law, ne sont, à l’heure actuelle, reconnus en droit français que dans le cadre de l’exequatur d’un jugement étranger ayant ordonné des « punitive damages ». Cette reconnaissance est, toutefois, contrôlée car le juge français a la possibilité de limiter l’autorisation de recouvrement de « punitive damages » ordonnés à l’étranger, en cas de disproportion, au motif jurisprudentiel que « « […] si le principe d’une condamnation à des dommages-intérêts punitifs n’est pas, en soi, contraire à l’ordre public [NDLR : international, français], il en est autrement lorsque le montant alloué est disproportionné au regard du préjudice subi et des manquements aux obligations contractuelles du débiteur »[1][2].

Conclusion 

Cette réforme à venir prochainement, visant à instituer des « punitive damages » en droit français, constituera donc une mini-révolution puisqu’elle élargira le principe de réparation intégrale limitée au seul préjudice, qui prévaut en droit français, et devra éviter que l’amende civile soit considérée comme une double peine, qui condamnerait deux fois pour les mêmes faits, allant ainsi à l’encontre de la règle du non bis in idem.

A suivre…

Contacts

Si vous avez des questions ou souhaitez plus d’informations sur les points évoqués dans ce LawFlash, merci de contacter l’un des avocats de Morgan Lewis suivant:

Paris
Alexandre Bailly
Xavier Haranger



[1] Aujourd’hui, les « punitives damages », ou dommages-intérêts punitifs, sont prohibés en droit français, car contraires au principe de réparation intégrale du dommage limitée au seul préjudice, afin que la victime soit replacée dans la position qui aurait été la sienne si le dommage n’avait pas eu lieu mais aussi empêcher tout enrichissement de la victime et toute sanction de l’auteur de la faute au-delà du préjudice réel.

[2] Cass. civ. 1re, 1er déc. 2010, n° 09-13.303 ; Gallmeister (I.), « Ordre public international : dommages-intérêts punitifs », D. actu., 9 déc. 2010.